« Mets plus fort papa, c'est ma chanson préférée ! »
On ne se rend pas compte à quel point la vie est fragile et qu'elle peut basculer à tout moment. Il suffit d'une minute d’inattention, d'un coup de fil trop long ou simplement d'un coup de malchance, la rencontre avec un homme qui, en grand égoïste, veut en finir avec la sienne sans penser à si il blessera qui que ce soit. À cinq ans, on ne se pose pas encore de question sur la mort. Ni sur comment elle arrive, ni quand. On veut juste vivre tant qu'on en a encore l'occasion. Pourtant cet enfant, ce garçonnet aux cheveux bruns en pagaille assis en tailleur à coté de Maël, il y sera confronté. Comment pourrait-on se douter dans un moment de pur bonheur que la seconde qui suivra sera celle qui changera toute votre vie ? Le père des deux garçons était en train de tourner le bouton de la radio quand le cri strident de l'enfant l'a fait sursauter. Mais il était trop tard. Déjà, la voiture de cet homme suicidaire dont on parlera plus tard dans les journaux fonce droit sur eux. Et c'est la collision. Puis le noir, total.

En ouvrant les yeux, Maël est toujours dans la voiture. Les vitres sont brisées, son père inconscient, la tête posée sur le volant. Il jette un coup d'oeil à coté de lui mais Andrew, son petit frère, n'est pas là. C'est en regardant droit devant lui qu'il le voit. Le corps du petit garçon est allongé sur le capot jusqu'aux hanches. Il a traversé la vitre. Il avait détaché sa ceinture, juste une seconde. Une seconde d'inattention, une seconde qui change tout. Maël veut hurler, il souffre. Mais il n'y arrive pas, et à nouveau c'est le vide.

Maël a une vie simple et qu'il a toujours jugée idéale. Lui et son frère vivent la plupart du temps chez leur mère en Californie et vont une semaine chaque mois en France chez leur paternel. Il n'a jamais eu aucun problème. Pas de décès dans la famille qui soit marquant, pas de maladie grave, un début d'adolescence riche en fêtes en tout genre, un bon niveau de vie sociale, en gros il ne s'est jamais plaint de sa vie. Mais ce mardi 24 août, alors que le garçon vient d'avoir dix-sept ans, tout a changé. Il ne le sait pas encore, mais cet accident va modifier la cours de sa vie banale pour la rendre plus sombre, une vie qui ne donne pas envie, une vie qui feront se retourner les gens autour de lui dans le bahut, murmurant des "[/i] c'est lui, pauvre garçon[/i] ". Maël est inconscient, pourtant il entend. Il entend des bruits des pas, des respirations accélérés, des " [i] chargez à 200, dégagez [i] ". Un bip continu, irritant. On le transporte dans un autre véhicule que le sien. Une femme est avec lui, elle parle mais il ne la comprend pas, comme si elle lui parlait dans l'eau.

Il se réveille à vingt-et-une heure précise avec un sérieux mal de crâne. Ce jour-là restera le pire jour de toute sa vie. À peine réveillé, un médecin lui apprend que son père est décédé, que Andrew ne marchera plus jamais et il lui demande si il souhaite appeler quelqu'un. Sauf que cette question, il ne l'a pas entendue. Son père. Mort. Celui avec qui il apprit à faire du vélo, celui qui, le mercredi après-midi, lui préparait à lui et à son frère un gâteau au chocolat, celui qui a fait de lui celui qu'il était. Andrew est entré au même moment dans sa chambre, le visage rempli de pansements et surtout, en chaise roulante.

Trois mois plus tard, les deux garçons ont pu sortir de l'hôpital. Maël est presque entièrement rétabli, et il pousse Andrew dans sa chaise. Lui par contre est mal au point. Il est faible, très pâle et ne peut pas sortir avant encore deux bons mois. Dans le hall, ils attendent leur mère qui ne devrait pas tarder à arriver. Le regard du jeune garçon s'illumine en voyant quelques flocons de neiges tomber derrière les grandes portes vitrées de l'immeuble.
« Regarde Maël, il neige. Je veux sentir la neige, s'il te plaît.
- Andrew, c'est dangereux ...
- S'il te plaît. »
Ca plus son air de garçon abattu suffisent à faire craquer Maël. Il pousse la chaise roulante de son frère et franchit les portes. Rapidement, les flocons de neige lui tombent dessus, dans sa nuque, sur son manteau. Andrew a le nez en l'air et un grand sourire illumine son visage. Ca fait longtemps. La dernière fois qu'il a sourit ainsi, c'était le jour de l'accident. Mais tout ça, c'était trop beau. Les mains du garçon se crispent sur ses genoux et il se plie en deux avant de s'écrouler à terre, sur la fine couche de neige. Maël se laisse tomber à coté de lui et le secoue légèrement.
« Andrew ! Je t'en supplie, réveille-toi ! Andrew ! »
Mais c'est trop tard. Le verdict tombera plus tard, il était déjà décédé et n'avait pas entendu son frère le supplier. Il était trop faible pour survivre. Voilà comment en trois mois, Maël perdit son père, son frère, et sa volonté.

Deux mois s'écoulèrent. Il était rentré en Californie chez sa mère et avait décidé de commencer des études de médecine pour sauver les enfants victimes d'accident, comme son frère. Ce voyage en bateau, c'était son cadeau pour avoir réussi son examen de passage à 21 ans.